La ténacité d’une policière

SAINT-ÉLIE-DE-CAXTON. Estelle Borgia a lancé le Sur la banquette arrière, livre qui retrace son parcours comme policière dans les années 1970 à 1980. Elle y témoigne de son cheminement houleux empreint de misogynie et d’intimidation.

Native de Shawinigan, Estelle Borgia a œuvré comme policière pendant 10 ans à Hauterive sur la Côte-Nord, municipalité aujourd’hui fusionnée à Baie-Comeau. « Je ne suis pas une fille qui a rêvé de faire la police très jeune. C’est vraiment un concours de circonstances », relate-t-elle. Elle et sa famille ont déménagé dans cette région en 1974 considérant que son conjoint de l’époque y avait trouvé du travail. Estelle Borgia était pour sa part gardienne de sécurité pour le vol à l’étalage dans un magasin à grande surface. 

Trouvant son travail exemplaire à titre d’agente de sécurité, le directeur de la police de Hauterive est allé à sa rencontre pour l’inviter à postuler dans la police. « À cette époque-là, je n’avais pas de compte de banque. Dans ce temps-là, la femme était soumise à l’homme. On ne pouvait pas décider toute seule comme ça qu’on travaillerait, sinon on se faisait mettre à la porte de notre relation ». Son conjoint d’autrefois étant très ouvert, il l’a encouragée à poursuivre dans la police.

C’est ainsi qu’elle a gradué de l’école de police de Nicolet et qu’elle est entrée officiellement dans le service de police de Hauterive en 1976. Dès son entrée en poste, la direction lui fait part du fait que les policiers ne veulent pas travailler avec une femme. « Moi, du haut de mes 26 ans, j’ai répondu : si vous m’avez engagé, c’est parce que vous pensez que je suis capable de faire la job, donc je vais faire la job et je ne ferai pas de houle. Ç’a été ma réponse », relève-t-elle en riant. Ce commentaire abrupte de ses supérieurs donnait le ton aux aléas à venir et incitait la nouvelle policière à faire profil bas.

Estelle Borgia est devenue la première policière municipale sur la Côte-Nord, la première sergente au Québec et la première capitaine au Canada. Elle a par conséquent contribué à paver la voie à davantage d’égalité au sein des corps policiers du Québec. Aujourd’hui, on note 36% de policières dans la province. Bien qu’une évolution soit constatée, les femmes et les personnes issues des communautés LGBTQ+ vivent encore des situations difficiles mentionne Estelle Borgia. « Ça tend à vouloir changer, mais il y a aussi que la mentalité des jeunes aujourd’hui a changé ». 

La descente aux enfers

Avant même d’intégrer officiellement l’équipe de Hauterive à titre de policière, le corps policier de l’endroit avait déclenché une grève en affichant sans gêne « en grève contre une femme police ». Estelle Borgia a malgré tout gardé son sang-froid. Elle attribue sa grande ténacité face à l’adversité à sa mère. « Grâce aux valeurs de ma mère. Grâce à l’attitude que ma mère a eue. Comment elle nous a influencés dans nos croyances et personnalités, c’est grâce à elle que j’ai passé à travers », témoigne l’ancienne policière.

Lors de son arrivée à Hauterive, l’équipe avait voté au syndicat pour son exclusion ce qui signifie qu’elle ne pouvait pas participer aux réunions syndicales bien qu’elle payait ses cotisations. La raison qu’on lui avait donnée était que le mot « policière » n’apparaissait pas dans la convention. Estelle Borgia a été 18 mois à payer ses cotisations syndicales sans pouvoir participer aux réunions.

Elle comprit à ses dépens que même sa sécurité physique n’était pas garantie. Après avoir appelé du renfort lors d’une intervention houleuse auprès d’un homme agressif, l’assistance de ses collègues masculins fut tardive et vaguement justifiée. « Quand j’arrivais chez nous, sur mon temps de pause pour le lunch, je braillais tout le long. Je m’essuyais les yeux et je me disais  »ils ne m’auront pas » », affirme Estelle Borgia.

L’ancienne policière fut victime de nombreuses situations d’intimidation, de misogynie et de sexisme. Que ce soit de manière directe et verbale, ou encore via des rapports ou démarches administratives, les policiers voulaient qu’elle abandonne la pratique.

C’est dans ce contexte de travail particulièrement difficile qu’elle vivra un divorce et qu’elle perdit sa maison. À ce moment, la santé mentale d’Estelle Borgia en avait pris un coup. « J’étais rendue au bout du rouleau. Puis j’ai eu une tentative de suicide par médicaments. Je m’en suis sortie ». Dans les mois qui suivirent, Estelle Borgia a choisi de remettre sa démission après 10 ans au service de police de Hauterive.

Par la suite, elle est allée vivre avec ses enfants chez sa sœur sur la Rive-Nord de Montréal, là où elle a fait la rencontre de son conjoint actuel quelques années plus tard. Elle a fait de la thérapie ce qui lui a été grandement bénéfique pour se remettre sur pied et trouver sa nouvelle vocation : la relation d’aide. Estelle Borgia a effectivement travaillé dans ce domaine pendant 30 ans. 

L’idée d’écrire un livre

C’est un concours de circonstances qui a mené Estelle Borgia à écrire un livre sur son parcours. Après avoir intégré le groupe Facebook « Hauterive que de beaux souvenirs », elle a décidé de publier d’anciennes découpures de journaux qui témoignaient de la résistance des policiers à son endroit. « J’avais dans mon ordinateur des coupures de journaux en photo donc j’en ai posté! ».

Elle a ainsi commencé à recevoir beaucoup de commentaires, dont un de l’homme de radio Sébastien Langlois. Il mentionnait qu’elle devrait écrire un livre afin de faire connaitre son histoire. Lui ayant mis la puce à l’oreille, Estelle Borgia débute graduellement la rédaction. Avec l’aide de sa fille, elles ont fait une structure pour organiser les idées. « On a pleuré, on a ri, mais on a fait une belle job ».

Son livre qui s’intitule Sur la banquette arrière fait référence à un commentaire qu’avait lancé un instructeur de l’école de police devant sa classe. « Il est en avant et il dit  »les femmes dans la police c’est bon sur le siège arrière la nuit » ». Cette intervention sexiste marquera Estelle Borgia dans la suite de son parcours.

Son ouvrage fut officiellement lancé lors du mois de mai à Saint-Élie, municipalité qu’elle et son conjoint habitent depuis maintenant plus de 20 ans. Sur la banquette arrière est disponible partout en librairie.