Fidèle au poste depuis 60 ans

AFFAIRES.  Après 131 ans d’activité à Louiseville, au même endroit et sous la propriété de la même famille, J.A. Giguère et fils tient toujours boutique, mais son propriétaire Martial Giguère songe tranquillement à passer la main…

À 80 ans et à sa 60e année derrière le comptoir, le sympathique commerçant juge qu’il a fait le tour du jardin. « Je ne me suis jamais considéré comme un homme d’affaires, mais plutôt comme un gars à son affaire », sourit le petit-fils de Joseph-Augustin Giguère qui a ouvert son commerce en 1893.

À cette époque, on trouvait de tout dans un magasin général, de la nourriture jusqu’aux vêtements. « C’était sans limites dans le temps. Il n’y avait pas de réglementation », poursuit Martial Giguère qui a grandi au 2e étage du commerce avec les autres membres de sa famille.

Son père Laurent Giguère y a bossé de 1947 jusqu’à son décès en 1975. C’est cette année que son fils Martial a pris possession du magasin même s’il y travaillait depuis 1964. « Dans le temps, je m’occupais de l’imprimerie », indique celui qui avait suivi une formation de trois mois à Montréal pour se familiariser avec les presses.

Un Dollorama des années 1980

Durant plus de 70 ans, J.A. Giguère était l’imprimeur de choix de plusieurs manufacturiers locaux pour leurs bons de commande notamment. « J’ai aussi imprimé des millions de petits timbres qui étaient collés sur les paquets de cigarettes préparés pas Bastos à Louiseville. Ça, c’était la livraison que je préférais le plus. Ça sentait tellement bon quand tu entrais là-bas. Je n’aime pas la fumée de tabac, mais les feuilles de tabac fraîches, ça sent tellement bon », se remémore-t-il.

C’est d’ailleurs lorsqu’il devient officiellement propriétaire au milieu des années 1970 qu’il décide de vendre la presse pour agrandir son magasin et accorder une plus grande place à la papeterie et autres articles de bureaux de plus en plus demandés.

De son propre aveu, les années 1980 ont constitué l’âge d’or du commerce. « On a été jusqu’à 11 employés sur le plancher. Il rentrait une remorque de 53 pieds dans la cour par semaine pour regarnir l’inventaire. On ne fournissait pas à la demande », se rappelle avec nostalgie Martial Giguère.  Jouets, cadeaux à petit prix, effets scolaires, articles de cuisine, etc. J.A. Giguère était un Dollorama avant que la célèbre enseigne ne vienne au monde.

Le commerçant  fixe à décembre 1988 le début du déclin de la vente au détail pour des magasins comme le sien. Ce mois-là, J.A. Giguère voit ses ventes diminuer de 22% d’un seul coup. « Tout d’un coup, les clients ont décidé que d’aller magasiner à Trois-Rivières, ça faisait partie de l’achat local. Après ça, ça n’a plus jamais remonté. »

Comme dans l’ancien temps

Depuis la fin de la pandémie, Martial Giguère s’est débarrassé de tout ses terminaux électroniques, mettant fin aux transactions par carte de débit et de crédit. « Ça coûtait trop cher à maintenir. Ici, c’est juste de l’argent comptant comme dans l’ancien temps. »

Le commerçant ne se berce pas d’illusions sur le futur et la clientèle se fait de plus en plus rare. « La majorité de mes clients, ce sont des personnes du 3e et 4e âge. Les jeunes ne vont même plus magasiner à Trois-Rivières. Ils achètent tout en ligne. »

En fait, Martial Giguère tient toujours boutique aujourd’hui au seul fait qu’il est le seul employé et que le bâtiment du magasin et l’ensemble de l’inventaire qui s’y trouve sont payés et lui appartiennent.

« J’ai bien aimé ma vie ici », souligne celui qui avait songé à mettre la clé sous la porte en 2018 quand sa défunte épouse était tombée malade. « Je voulais fermer pour m’occuper d’elle, mais elle est partie plus vite que prévu. J’ai décidé ensuite de continuer parce que je ne me vois pas faire autre chose. J’ai toujours vécu ici. C’est comme si j’avais été coulé dans le ciment », termine-t-il.