Un philosophe dans les cuisines
SAINT-MATHIEU-DU-PARC. Que diriez-vous de goûter la cuisine d’un diplômé en Technologie d’analyses biomédicales du Cégep de Shawinigan ou d’un bachelier en philosophie de l’UQAM? Difficile à imaginer, mais l’un des jeunes chefs cuisiniers de l’heure au Québec est un autodidacte qui a abandonné sa formation à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITCQ) après une session…
« Pour être honnête, j’ai été désenchanté durant mon passage là-bas. J’avais l’impression de désapprendre certaines choses. C’était un enseignement classique et j’étais rendu personnellement un peu plus loin », explique Samy Benabed, chef cuisinier de l’Auberge Saint-Mathieu du Lac.
Dans un reportage intitulé « Une étoile à Saint-Mathieu-du-Parc »le 19 juin dernier, la critique culinaire du Devoir, Catherine Lefebvre, écrivait qu’« il crée avec soin des plats extraordinaires. Sa cuisine est une destination en soi. »
De son parcours académique qui ne le prédestinait pas aux fourneaux, Samy Benabed explique son détour simplement par son environnement familial. « Mon père était traiteur à Trois-Rivières et mes étés, j’ai commencé à les passer dans les cuisines dès l’âge de 16 ans. »
D’origine marocaine par ses parents, ne cherchez pas les influences d’Afrique du Nord dans la cuisine de Samy. « Non, loin de là, mais il y a des techniques que je vais utiliser par contre. J’ai fait récemment de l’agneau cuit à la vapeur, une technique typique du Maroc que ma grand-mère utilise encore. Ça cuit environ six à sept heures et ça donne une viande très tendre et effilochée. »
Avant de revenir en Mauricie à l’été 2020, le Trifluvien avait fait ses classes en complétant deux stages culinaires au Danemark puis en prenant la tête des cuisines de L’Épicier, un restaurant haut de gamme dans le Vieux-Montréal.
Une cuisine de proximité
À Saint-Mathieu-du-Parc, Samy Benabed a l’opportunité de composer une cuisine qui est en train d’établir véritablement sa signature. « Je dirais que je fais une cuisine de création. Dans l’assiette, c’est le produit que je mets en valeur. À part les poissons et les fruits de mer qui viennent de Gaspésie et des îles de la Madeleine, tout le reste, les légumes, fruits, herbes, champignons, ça vient de la nature ou de producteurs dans un rayon de 100 kilomètres de l’auberge. »
Au lieu du sucre raffiné, il utilisera le miel d’un apiculteur du coin. « C’est une cuisine boréale de proximité. Je cherche continuellement à réduire mon cercle d’approvisionnement », explique le jeune chef cuisinier. Il arrive aussi parfois là où on ne l’attend pas. Sa matricaire odorante, une mauvaise herbe qui pousse couramment dans les fissures de trottoir, est un régal sur une boule de crème glacée. « Les Anglais appellent ça du pineapple weed parce que ça goûte l’ananas. Ce sont des petites choses comme ça que je fais découvrir aux clients et ils s’émerveillent. Ils n’en ont jamais entendu parler. Je trouve ça le fun cette ouverture. »
Et le retour aux sources pour Samy Benabed risque de ne pas être une parenthèse dans sa carrière puisqu’avec un ami, Nicolas Trottier Lacourse, le fils des propriétaires de l’auberge, ils reprendront les rênes de l’établissement cet automne. « Je suis revenu dans la région pour ça l’été dernier. Louise Trottier et Jean-Marie Lacourse veulent prendre leur retraite depuis quelque temps et l’idée de prendre la relève a fait son chemin dans nos têtes. »
Le chef cuisinier a déjà quelques idées de changement, mais pas de virage drastique annonce-t-il. « On veut être un peu plus cohérent dans notre démarche. Actuellement, le contenu de nos assiettes est très local, mais on veut que tout le reste suive. Les serviettes de table seront faites par un artisan du coin. Les savons dans les chambres. »
Ce nouveau départ se fera aussi sous un nouveau nom, mais là-dessus, comme tout bon cuisinier, Samy Benabed ne veut pas divulguer le secret…