Du poulet rôti Ti-Coq au racisme systémique
GASTRONOMIE. Récipiendaire du prix Fine Dining Lovers Food for Thought Award dans le cadre de la prestigieuse compétition San Pellegrino Young Chief Academy, Samy Benabed participera à la grande finale du concours qui aura lieu à Milan, en Italie, en octobre 2023.
Le chef cuisinier de l’Auberge Saint-Mathieu du lac, à Saint-Mathieu-du-Parc, s’est démarqué auprès du jury avec son plat Poule de soie Ti-coq qui rappelait autant ses racines québécoises que marocaines tout en évoquant la notion de racisme systémique qu’il a côtoyé de près.
« Mon père est diplômé en finances de l’UQTR et malgré cela, il n’a jamais réussi à trouver un emploi dans son domaine. C’est comme livreur chez Ti-Coq à Trois-Rivières qu’il a trouvé son premier job et il le fait encore aujourd’hui par fidélité à celui qui lui a donné sa première chance. J’ai donc voulu ramener tout ça dans un plat parce que ça fait partie de mon identité. »
Samy Benabed souligne également que le poulet de rôtisserie est emblématique au Québec avec ses enseignes comme St-Hubert, Benny, Ti-Coq, Fusée, etc. « Du poulet rôti, j’en ai mangé souvent dans ma vie. On le retrouve bien sûr ailleurs au Canada, mais seulement parce que ça a sorti des frontières du Québec. » Le chef cuisinier a également transposé des éléments de ses racines marocaines en utilisant un tajine pour monter ses sauces.
Le concept de racisme systémique était également évoqué dans le choix de la race utilisée: une poule de soie à la chaire très foncée, presque noire. « On la retrouve peu dans nos cuisines en Occident. Elle est surtout cuisinée en Orient, particulièrement en Chine. Ici, les gens l’élèvent comme poule ornementale parce qu’elle a un beau plumage. Ça faisait aussi partie de ma réflexion: il n’y a aucun problème ici à consommer une poule blanche ou brune, mais du moment qu’elle est belle, on l’exhibe. C’est vraiment un plat où chaque élément a été pleinement réfléchi. Il y a de la subtilité dans plein de choses. Rien n’a été laissé au hasard », explique Samy Benabed qui a dû reproduire Poule de soie Ti-coq à Toronto à la fin du mois d’octobre devant le jury.
Membre de l’Académie
Avec toute cette réflexion en arrière-plan, c’est sans surprise que son plat a été récompensé dans la catégorie Food for Thought Award qui était remis au cuisinier qui exprimait le mieux ses convictions personnelles dans son assiette. En Italie à l’automne 2023, il se retrouvera donc avec quatorze collègues – les finales régionales de San Pellegrino Young Chief Academy se déroulent dans 15 régions dans le monde tous les deux ans – ayant remporté la même catégorie pour y livrer une présentation.
En remportant cette catégorie, Samy Benabed fait officiellement partie de l’Académie San Pellegrino regroupant la crème des cuisiniers de moins de trente ans dans le monde. Cela lui donnera accès à un système de mentorat, à des formations en ligne, à des stages rémunérés dans les restaurants les mieux côtés sur la planète.
« Ce n’est pas un concours auquel tu participes pour l’argent, mais plutôt pour le prestige. L’Académie est là pour supporter la relève, nous donner des outils. Ils ont énormément de moyens et sont très présents sur la scène gastronomique. Après le Bocuse d’Or, c’est le concours le plus prestigieux au monde », rappelle Samy Benabed.
Et le talentueux cuisinier ne ferme pas la porte à inscrire Poule de soie Ti-coq sur le menu de l’Auberge de Saint-Mathieu du lac dans un proche avenir. « C’est très complexe à réaliser, mais je vais trouver un moyen de le simplifier afin qu’on puisse l’avoir sur notre carte », termine celui qui s’apprête avec trois partenaires à finaliser l’acquisition de l’établissement d’ici les prochaines semaines.