Privés de la plateforme X, nombre de Brésiliens disent se sentir déconnectés du monde

Le blocage de la plateforme de médias sociaux X au Brésil a divisé les utilisateurs et les politiciens sur la légitimité de l’interdiction, et de nombreux Brésiliens ont eu des difficultés et des doutes quant à la navigation sur d’autres médias sociaux en son absence.

La fermeture de la plateforme d’Elon Musk a commencé tôt samedi, la rendant largement inaccessible à la fois sur le Web et via les applications mobiles après que le milliardaire eut refusé de nommer un représentant légal dans le pays, manquant un délai imposé par le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes.

Le blocus marque une escalade dans une querelle de plusieurs mois entre MM. Musk et de Moraes sur la liberté d’expression, les comptes d’extrême droite et la désinformation.

Le Brésil a été l’un des plus gros marchés pour X, avec des dizaines de millions d’utilisateurs.

«J’ai le sentiment de n’avoir aucune idée de ce qui se passe dans le monde en ce moment. C’est bizarre», a écrit Chico Barney, auteur de contenu et grand utilisateur de X, sur Threads, une application textuelle développée par Instagram que M. Barney utilisait comme solution de rechange.

Ana Júlia Alves de Oliveira, une étudiante de 18 ans, a expliqué que de nombreux jeunes comme elle ne regardent plus les journaux télévisés ou ne lisent plus les journaux, se fiant uniquement aux plateformes de réseaux sociaux comme X pour s’informer. Sans cette plateforme, elle se sentait déconnectée.

«J’ai en quelque sorte perdu le contact avec ce qui se passe dans le monde, a-t-elle confié. J’ai vu beaucoup de divertissements là-dessus aussi, donc c’est une nouvelle réalité pour moi.»

Migration forcée

Bluesky, une plateforme de médias sociaux lancée l’année dernière comme alternative à X et à d’autres sites plus établis, a connu un afflux important de Brésiliens au cours des deux derniers jours. L’entreprise a déclaré vendredi avoir vu environ 200 000 nouveaux utilisateurs brésiliens s’inscrire pendant cette période, et le nombre «continue de croître de minute en minute».

La migration de plateforme n’est pas rare pour les Brésiliens, qui ont adopté Orkut en masse, et lorsque Orkut a fait faillite, ils ont volontiers migré vers d’autres plateformes.

X n’est pas aussi populaire au Brésil que Facebook, Instagram, YouTube ou TikTok. Cependant, il reste une plateforme importante sur laquelle les Brésiliens participent à des débats politiques et est très influent auprès des politiciens, des journalistes et d’autres faiseurs d’opinions.

C’est aussi là qu’ils partagent leur sens de l’humour. Bon nombre des mèmes les plus célèbres du pays proviennent de publications sur X avant de se propager sur d’autres réseaux sociaux.

Le juge de Moraes a annoncé que X resterait suspendu jusqu’à ce qu’il se conforme à ses ordres, et il a également fixé une amende quotidienne de 50 000 réaux (11 942 $) pour les personnes ou les entreprises utilisant des réseaux privés virtuels, ou VPN, pour y accéder. Certains experts juridiques ont remis en question les motifs de cette décision et la manière dont elle serait appliquée. D’autres ont suggéré que cette mesure était autoritaire.

Le barreau brésilien a déclaré vendredi dans un communiqué qu’il demanderait à la Cour suprême de réexaminer les amendes imposées à tous les citoyens utilisant des VPN ou d’autres moyens pour accéder à X sans procédure régulière. Le barreau a fait valoir que les sanctions ne devraient jamais être imposées sommairement avant d’avoir assuré un processus contradictoire et le droit à une défense complète.

Une recherche vendredi sur X a montré que des centaines d’utilisateurs brésiliens se renseignaient sur les VPN qui pourraient potentiellement leur permettre de continuer à utiliser la plateforme en faisant croire qu’ils se connectent depuis l’extérieur du pays.

Un blocage décrié

«Les tyrans veulent transformer le Brésil en une autre dictature communiste, mais nous ne reculerons pas. Je le répète: ne votez pas pour ceux qui ne respectent pas la liberté d’expression. Orwell avait raison», a publié avant la fermeture de X le député de droite Nikolas Ferreira, l’un des plus proches alliés de l’ancien président Jair Bolsonaro. Elon Musk a répondu avec un emoji suggérant son accord: «100».

M. Ferreira est un Youtubeur de 28 ans qui a reçu le plus de votes parmi les 513 législateurs fédéraux élus lors des élections de 2022. M. de Moraes a ordonné le blocage de ses comptes sur les réseaux sociaux après qu’une foule de partisans de Bolsonaro a attaqué le Congrès brésilien, le palais présidentiel et la Cour suprême en janvier 2023 cherchant à annuler l’élection.

L’ancien président a déclaré samedi sur Instagram que le départ de X du Brésil était «un autre coup porté à notre liberté et à notre sécurité juridique».

«Cela affecte non seulement notre liberté d’expression, mais sape également la confiance des entreprises internationales qui opèrent sur le sol brésilien, avec des répercussions allant de la sécurité nationale à la qualité de l’information qui parvient à nos citoyens», a fait valoir M. Bolsonaro.

Vendredi, le président Luiz Inácio Lula da Silva a soutenu la décision du juge de Moraes et a critiqué Elon Musk pour s’être positionné comme s’il était au-dessus des lois lors d’une entrevue à Radio MaisPB.

«Tout citoyen, où qu’il soit dans le monde, qui a des investissements au Brésil, est soumis à la Constitution brésilienne et aux lois brésiliennes. Par conséquent, si la Cour suprême a pris une décision obligeant les citoyens à se conformer à certaines choses, ils doivent soit s’y conformer, soit prendre une autre décision», a dit M. Lula. «Ce n’est pas parce que le gars a beaucoup d’argent qu’il peut lui manquer de respect.»

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Ortutay a fait son reportage depuis San Francisco et Biller depuis Rio de Janeiro. Les journalistes de l’Associated Press Mauricio Savarese et Felipe Campos Mello ont contribué depuis Sao Paulo.